Un brin d’histoire du clown…
Pour de nombreux auteurs, le clown serait né d’un accident, survenu alors que le cirque anglais du XVIIIe siècle se propageait en Europe sous l’influence fondatrice de Philippe Astley, un ancien officier de cavalerie qui développa les numéros d’acrobatie équestre et créa la piste circulaire telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il est une anecdote qui relate l’arrivée des paysans dans le monde du cirque, recrutés alors que les directeurs de cirque anglais manquaient de personnel. Hasard ou fausse coïncidence, dans la vieille langue anglaise, « claune » désigne un paysan de façon péjorative, le comparant à un bouffon ou à un rustre.
Embauchés dans le cirque anglais au plus bas de l’échelle sociale, ces paysans étaient présents pour s’occuper des chevaux, et sans doute pour ramasser les excréments sur la piste entre chaque numéro. L’une des jolies versions qui donna naissance au clown raconte qu’un jour, un paysan lassé de son travail et ayant trop bu trébucha sur la piste en pleine représentation, provoquant l’hilarité générale du public. Une autre version raconte qu’un cavalier lui-même ivre aurait chuté un jour de son cheval pendant son numéro. Constatant le succès, le directeur du cirque aurait décidé d’introduire ce personnage à part entière dans la représentation en y ajoutant la symbolique du nez. Ce nez rouge qui montre au public l’ivrognerie du paysan plutôt que de la cacher. Ainsi, dès son origine, le clown est un personnage qui vient briser la tension dramatique inscrite au cœur de la performance en y faisant l’éloge du ratage et du paria. C’est dans ce ratage que l’artiste devient grandiose et magnifique.
Le clown a cependant l’obligation d’être authentique s’il veut que le public consente à le suivre. Il ne peut faire semblant de se tromper, car cela se voit ! Pour être authentique, le clown doit parler de lui-même au plus vrai de ce qui le touche et en jouer avec innocence. Il doit tendre de tout son cœur vers la performance et l’exploit, devenir le dieu de l’émotion qui le possède dans l’instant, jusqu’à oser le ratage en pleine lumière. Et c’est paradoxalement en plongeant dans le ratage, « le bide » de sa prestation qu’il parvient à regagner le public et à obtenir sa rédemption.
Du ratage à la transformation de l’échec en performance
Il est une histoire magnifique qui illustre parfaitement cette notion de rédemption et que l’on trouve dans l’histoire de Charlie Chaplin alors qu’il monte sur la scène pour la première fois à 5 ans à la suite de sa mère. Les parents de Charlie Chaplin étaient tous deux artistes de music-hall et s’étaient séparés alors que le jeune Charlie n’était encore qu’un enfant.
Se retrouvant seule pour l’éducation de son fils, sa mère se trouva obligée de multiplier les récitals malgré sa santé fragile. De rhumes à répétition en laryngites déplorables pour son métier, l’événement inéluctable ne pouvait manquer d’arriver. C’est Charlie Chaplin qui le raconte lui-même dans sa biographie :
« Je me souviens, j’étais dans les coulisses quand la voix de ma mère se brisa pour n’être plus qu’un souffle. Le public se mit à rire, à chanter d’une voix de fausset, à siffler. […] Lorsqu’elle regagna les coulisses, elle était bouleversée et elle discuta avec le directeur de scène qui, m’ayant vu chanter devant des amis de ma mère, dit qu’on pourrait me laisser occuper les planches à sa place. […] J’étais tout à fait à l’aise. J’interpellai le public, je dansai, je fis plusieurs imitations, y compris une de ma mère chantant une chanson de marche irlandaise. […] En toute innocence, alors que je reprenais le refrain, j’imitais la voix de ma mère qui se brisait et je fus surpris de voir quel effet cela avait sur l’auditoire. Il y eut des rires et des acclamations, et une nouvelle pluie de monnaie ; et quand ma mère vint sur la scène pour m’emmener, elle recueillit un tonnerre d’applaudissements. Ce soir-là marqua ma première apparition sur scène et la dernière de ma mère » .
Certes, Charlie Chaplin n’avait pas de nez rouge mais il n’est pas moins l’un des représentants les plus extraordinaires du clown. Sa vie même en est l’image parlante : de l’enfance vagabonde à la célébrité éclatante, du ratage à la performance.
Réinventer le monde de l’entreprise
Qui mieux que le clown peut aujourd’hui remettre en vie et en joie le monde de l’entreprise, jusqu’à susciter en nous le désir de créer et d’explorer de nouvelles manières d’être, de travailler ensemble ? Comme le dit le grand clown russe Slava, Le clown vit avec une telle passion qu’il peut attirer tout le monde dans cette vie passionnante et turbulente. Nos organisations en tant que collectivités humaines ont besoin de ce souffle clownesque pour se réinventer. Elles ne peuvent réduire l’individu à une « ressource humaine », oubliant que chaque individu a besoin de donner du sens à ses actions, qu’il est un être de langage et de désir, que ses inscriptions symboliques sont tout aussi essentielles que ses besoins économiques et financiers.
La posture humaniste clownesque, alliée au coaching, vient répondre aux enjeux actuels de l’entreprise, pour proposer une forme d’accompagnement qui n’a de cesse de se réinventer, à l’image des challenges qui attendent la société moderne, et à l’heure de l’arrivée sur le marché du travail de la génération X-Y-Z, de la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication. On parle beaucoup aujourd’hui en entreprise de ces unités pilotes, banc de test des innovations de rupture. J’ai accompagné de nombreux collectifs dédiés à l’innovation en entreprise, de la nécessité de s’adapter aux nouvelles tendances du marché à la recherche de solutions hors normes. Dans ces unités, le management se doit d’y être atypique et les indicateurs de performance réinventés. Le droit à l’erreur se doit d’y être autorisé et pleinement accepté par tous.
L’approche fondamentalement humaniste du clown permet fondamentalement cette réinvention de l’ancien vers le nouveau, ce leadership de l’innovation.